Que ce soit sur les médias de masse, d’Etat et “privés” (mais dont les actions et les propos sont conformes aux principes et aux volontés étatiques), ou, à un degré certes moindre mais néanmoins d’un niveau conséquent, sur des médias “indépendants”, comme Médiapart, une visibilité/audience est donnée à des personnes juives, à l’instar de ce qui se fait depuis longtemps déjà, comme si elles étaient représentatives “de la communauté juive”. Or, une étude sur la sociologie de ces personnes peut conclure que, bien souvent, elles ne sont pas représentatives, puisque, principalement, elles sont classées à droite (PS compris) ou pire, à l’extrême-droite. Ci-dessous, vous trouvez un premier entretien avec une femme française, M, juive, une citoyenne qui, avec d’autres, n’a jamais été sollicitée par un média, est systématiquement ignorée. Voyons pourquoi…
- Pour les lectrices, lecteurs, qui êtes-vous, quels sont vos liens avec le Judaïsme, l’Histoire des Juifs du monde ?
M. : Ma famille est juive séfarade (d’Algérie d’abord puis de Tunisie), naturalisée française par le décret Crémieux. La religion était peu présente si ce n’est de manière « culturelle » : grandes fêtes comme Kippour, Hanoukka, Pessah etc. Ma grand-mère mêlait judaïsme et pratiques un peu superstitieuses empruntées à la culture d’Afrique du Nord, par exemple quand nous étions malade elle pouvait mettre les rouleaux de la Torah sous notre oreiller et du henné sur le seuil de la porte. Son père était un juif très libéral, il se moquait des religieux. Il a combattu avec les FFL pendant la guerre et y a laissé la vie. J’ai toujours grandi avec ce judaïsme teinté de culture maghrébine. Quant à l’Histoire des Juifs, ma grand-mère a été très marquée par la seconde guerre mondiale, elle en parlait très peu d’ailleurs, même si les Juifs d’Afrique du Nord n’ont pas été déportés. Elle raconte l’humiliation de devoir porter l’étoile jaune, de devoir chanter « Maréchal nous voilà » à l’école. Il est impossible de regarder un film sur la guerre en sa présence, elle ne supporte pas d’entendre parler Allemand. Enfin, si l’on parle des Juifs d’Afrique du Nord, il faut parler de la décolonisation et du retour en France… Cela me semble avoir un impact très fort sur les réactions d’une partie de la communauté juive française relatives au conflit israélo-palestinien. Je constate que beaucoup de personnalités médiatiques ayant les mêmes origines que moi, projettent leurs rancœurs, leur haine des arabes sur ce conflit, comme si se rejouait la décolonisation.
- Quand on est une personne juive en France, vous subissez des réquisitions : requis de représenter les Juifs de France, notamment en cohérence avec le CRIF, requis de représenter également l’Etat d’Israël. Vous faites partie de nombre des Juifs français qui récusent, refusent, cette réquisition. Pourquoi ?
Je ne supporte pas que le CRIF parle en mon nom. Vouloir réduire la pensée, l’identité juive à une seule doxa est complètement paradoxal. Il y a de multiples cultures, identités juives héritées justement de la diaspora, et c’est à mon sens ce qui fait la richesse de cette identité. Le judaïsme et la judéité n’ont pas attendu Israël pour exister. Par ailleurs, l’identité d’une personne ne peut se réduire à sa confession et à ses origines… Ce qui se passe à Gaza touche notre humanité, bien au-delà de nos origines diverses je crois. Dans les statuts du CRIF il est stipulé que cette organisation doit un « soutien inconditionnel à Israël », ce qui me choque énormément. Je me sens juive mais pas israélienne. Je ne peux soutenir cet État lorsqu’il viole le Droit international et les Droits de l’Homme. Notre mémoire collective devrait justement nous amener à nous trouver du côté des opprimés, des peuples persécutés, le « Plus jamais ça ! » concerne l’humanité toute entière. Soutenir les massacres de civils, le blocage de l’aide humanitaire c’est trahir notre mémoire collective. Nous devons avoir le droit de le critiquer, comme tout autre état du monde. Évidemment, comme beaucoup d’entre nous j’ai grandi avec une sorte de « mythe » d’Israël mais en grandissant et en constatant les dérives insupportables (colonisation, résolutions de l’ONU bafouées etc) j’en suis arrivée à déconstruire ce mythe. J’ai découvert des personnalités comme Shlomo Sand, Norman Finkelstein, Zeev Sternhell, Gideon Levy, Rony Brauman ou Illan Pappé dont les discours reflètent parfaitement ma pensée. Par ailleurs les médias français ignorent complètement des organisations ou des collectifs comme Tsedek ! ou l’UJFP qui portent une voix juive diamétralement opposée à celle du CRIF, je trouve cela très dangereux. Vouloir à tous prix assimiler les Juifs à Israël, surtout en ce moment, contribue, je crois à faire monter l’antisémitisme. Tout comme confondre antisionisme et antisémitisme.
- Il y a eu les évènements du 7 octobre 2023 en Israël, et depuis, le blocus aggravé de Gaza, avec, d’un côté, une armée, dont les armes de guerre proviennent principalement des Etats-Unis, France, Allemagne, Grande-Bretagne, et de l’autre, une majorité de civils, avec quelques milliers de combattants armés, qui ne disposent pas d’armes de guerre pour se défendre. Comment avez-vous perçu, comprenez-vous, toute cette période, jusqu’à aujourd’hui ?
Les événements du 7 octobre sont une infamie, il n’y a pas à tergiverser sur ce point. Toute attaque sur des civils est inacceptable et les responsables de ces crimes terroristes devront être jugés évidemment. Netanyahu a tout fait pour renforcer le Hamas afin d’affaiblir le Fatah, cette politique n’engendre que la violence. Aujourd’hui nous assistons à une vengeance aveugle, inhumaine, sur des civils au mépris du Droit International. Les images qui nous parviennent sont insoutenables et l’attitude des USA, de la France ou de l’Allemagne me semblent indignes. Ces pays occidentaux perdent toute crédibilité. Oseront-ils encore faire des leçons de Droits de l’Homme au monde entier alors qu’ils livrent des armes à une armée massacrant des civils, créant la famine, bloquant les médicaments, bombardant des hôpitaux ? Netanyahu et ses alliés d’extrême droite messianique en profiteront pour mener à bien leur projet d’extension coloniale. D’ailleurs ils semblent peu se soucier des otages israéliens… L’attitude des pays comme la France ou l’Allemagne laisse à penser que certaines vies valent plus que d’autres, ce qui va à l’encontre des valeurs humanistes de notre pays. Comme si le Droit International n’était pas valable pour certains pays, le contraire du principe même du Droit. Évidemment on peut également penser que ces pays lorgnent sur les gisements gaziers de la région, ce qui pourrait laisser croire que les enjeux économiques semblent avoir plus de valeurs à leurs yeux que des vies humaines…
- Nous avons tous appris que le Procureur de la Cour Pénale Internationale demandait à la Cour des mandats d’arrêt internationaux, notamment contre le premier ministre israélien. Les motivations de cette requête sont justifiées ainsi : ” Il existe également des motifs raisonnables de croire que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et Yoav Gallant, ministre israélien de la défense « portent la responsabilité pénale de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis sur le territoire de l’État de Palestine (dans la bande de Gaza) à partir du 8 octobre 2023 au moins ». Il s’agit notamment du fait « d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre en tant que crime de guerre… le fait de diriger intentionnellement des attaques contre une population civile en tant que crime de guerre … (et) l’extermination et/ou le meurtre en tant que crime contre l’humanité ».” Comment percevez-vous la situation en Palestine, et comment analysez-vous la démarche et les propos de la CPI ?
La CPI sauve l’honneur du monde. Il en va de la crédibilité du Droit International. Les lois ne sont pas faites pour que les puissants s’y soustraient. Israël bafoue les résolutions de l’ONU depuis des années et cela dans l’impunité la plus complète. Pourquoi, au nom de quoi, cet État dérogerait-il aux lois ? L’attitude des USA vis-à-vis de la CPI constitue une injure au Droit. Les propos tenus par plusieurs responsables politiques israéliens sont gravissimes ! Yoav Gallant a par exemple parlé « d’animaux humains », c’est exactement la même rhétorique qu’employait Himmler (discours de Posen – 1943). Nous avons vu des images de soldats de Tsahal brûlant des livres, posant avec les jouets ou les sous-vêtements de leurs victimes et certains continuent de parler de « l’armée la plus morale du monde » ! Depuis le 7 octobre j’ai l’impression d’assister à une volonté de décimer une population. Comme si la Convention de Genève n’existait pas.
- On comprend que, entre les Juifs de France, progressistes, comme dans le reste du monde, il y a des désaccords dans l’interprétation sur l’existence de l’Etat d’Israël, sa naissance, son Histoire, de 1948 à aujourd’hui. Certains considèrent que, dès le départ, il y a eu un fait colonial, violent, voire raciste, d’autres que, dans cette naissance, il y avait une fraternité ouverte, mais que celle-ci s’est diluée au fur et à mesure du temps, a perdu, face à l’extrême-droite. Quelle lecture faites-vous de cette Histoire ?
Le sionisme est antérieur à la seconde guerre mondiale (Herzl), et il y avait des Juifs en Palestine bien avant la création de l’État d’Israël. Le mouvement sioniste s’est développé au XIXème siècle mais tous les Juifs ne sont pas sionistes. Il existe un article très intéressant de Révolution permanente sur l’histoire des Juifs antisionistes dans lequel on parle notament du Bund : « La plus célèbre des organisations ouvrières antisionistes est la Ligue générale des travailleurs juifs, connue sous le nom de Bund. Au lieu de chercher à mettre fin à leur oppression en tant que juifs en partant dans un pays lointain, ils voulaient lutter contre celle-ci aux côtés de l’ensemble des travailleurs, où qu’ils vivent. Ils considéraient la colonisation comme une « doikayt », ou « hérésie »». La colonisation, l’impérialisme, reposent sur une conception suprémaciste des rapports humains. Cette colonisation en tant que telle ne peut que déclencher des conflits. Des Palestiniens ont été chassés de chez eux et cela continue en Cisjordanie notamment ! On aurait pu imaginer un État ou une Fédération permettant aux Palestiniens et aux Juifs de vivre ensemble à égalité de droits… Mais cela irait à l’encontre de la conception religieuse de certains (objectif messianique).
- Que cela soit avec l’AIPAC aux Etats-Unis, le CRIF en France, des membres du gouvernement israélien actuels, clairement d’extrême-droite, le pole colonial est fort, et en face, les progressistes ne le sont pas. La situation en France est d’ailleurs comparable à. Heureusement, les Juifs progressistes ont relevé la tête, avec des groupes mobilisés, comme par exemple avec Tsekek!. Mais pour l’heure, le CRIF a toutes ses entrées partout, au plus haut niveau de l’Etat, et les progressistes sont méprisés, ignorés. Comment percevez-vous cette situation ? Est-ce que vous souhaitez plus vous faire entendre, et si oui, comment ?
Savoir que des organisations telles que l’UJFP ou des collectifs comme Tsedek ! Existent est rassurant. Les réactions de beaucoup de citoyens Juifs américains contre les crimes perpétrés par Netanyahu permettent de faire entendre d’autres voix. Le problème reste que les sionistes ont crée des liens avec les pouvoirs en place et cela depuis très longtemps. Ces lobbies politiques bénéficient d’appuis financiers et politiques, la question est la même que pour les autres lobbies : comment lutter contre l’ingérence de ces organisations dans la sphère politique ?
- Il y a une grande Histoire des Juifs du monde : avec des intellectuels, auteurs, artistes, remarquables. Quelles sont vos références personnelles, et que conseillez-vous aux uns et aux autres de lire ?
Comme je les ai cités plus haut, je dirais que les plus intéressants sont :
– Norman Finkelstein qui explique comment les sionistes instrumentalisent la Shoah
– Ilan Pappé (« Le nettoyage ethnique de la Palestine »)
– Shlomo Sand (« Comment la terre d’Israël fut inventée » notamment)
– Noam Chomsky
– « Antisionisme, une histoire juive » de Michèle Sibony, Béatrice Orès et Sonia Fayman
- Pour terminer, parmi les caractéristiques de la situation actuelle, il y a, en France, le fait que la “France Insoumise” est attaquée par des diffamations publiques, avec l’arme fatale de l’accusation de “l’antisémitisme”. Que répondez-vous à celles et ceux qui, jusqu’à Golem, Médiapart, qui a relayé Golem à plusieurs reprises, répètent cette diffamation, scandaleuse ?
Il me semble très dans l’air du temps de confondre antisionisme et antisémitisme, il y a d’ailleurs un député LR qui souhaite proposer une loi assimilant les deux, il s’agit à mon sens de vouloir faire taire toute critique d’Israël. Dire que le CRIF entretien des liens étroits avec notre gouvernement n’est pas antisémite, les faits parlent d’eux-mêmes. Les déclarations de l’ONU et de la CIJ ou de la CPI confirment que LFI utilise les termes du Droit International, que cela déplaise aux soutiens d’Israël n’est pas une surprise. J’ai l’impression que dans l’esprit des gens, il est impossible que des Juifs soient d’extrême droite puisqu’ils ont été les victimes de cette idéologie. Pourtant il est évident que le gouvernement israélien et nombre de ses soutiens portent une idéologie raciste, suprémaciste et colonialiste.