Tel que nous le connaissons, tel que nous le visons dans ce qui fut l’Histoire, l’État fut bien plus que ce que l’étymologie en dit : du latin status, du verbe stare, dont la signification est, «se tenir debout», avoir une position et la tenir, toute communauté qui existe, se tient debout, est en «état» d’existence. Mais, si dans l’Histoire des pays européens, la construction d’un Etat a été voulue, pensée, réalisée, en tant que construction, dans la durée, y compris définitive (et de ce point de vue, le projet nazi du « Reich de mille ans » n’aura été que son expression paroxystique, caricaturale, et « comique », avec son effondrement peu après son apparition), elle s’est manifestée, précisément, par des constructions impressionnantes, supposées solides, et par le remplacement de la représentation du Divin, par la représentation des « grands hommes » auxquels la patrie devait être reconnaissante, et, entre l’Ancien Régime et la République, la différence, de ce point de vue, aura été nulle. Chaque présent collectif vit et évolue à partir d’une conscience, mémoire, de l’Histoire, et, en France, ce présent, en rapport avec ce passé, a, dans l’espace public, été déterminé par des décisions de l’Etat. Et dans les pays colonisateurs et esclavagistes (les Etats-Unis étant eux-mêmes une colonie séparée), le processus historique a été le même : de logique hégélienne, il a consisté à imposer un culte public envers des « grands hommes », des « fondateurs », « pères-fondateurs » (USA, comme Jefferson, Washington), alors que la connaissance historique permettait d’établir qu’ils avaient été, certes, évidemment, des hommes de leur temps, déterminants, mais que la considération quant à leur grandeur était tout à fait discutable, et discuté. Et, au sein des populations, à l’occasion de débats publics, de conférences, les dites discussions avaient lieu, pendant que, du côté des Etats, on faisait mine de ne rien entendre, ou, si nécessaire, on répondait qu’il n’y aurait, de ce point de vue, aucun changement, aucun « déboulonnement ». L’Etat-orthodoxe a un discours permanent : il y a un récit de l’Histoire et un seul. Ces dernières années, des chantres de ce récit unique sont montés au créneau pour mettre en cause le fait que celui-ci aurait été, en douce, modifié, et que, ainsi, Louis XIV aurait disparu de l’enseignement de l’Histoire, etc, ce qui était évidemment, faux, mensonger. S’ils montaient ainsi au front de la bataille mémorielle, c’est qu’ils avaient compris qu’une pression sociale puissante mettait en cause ce récit unique, et qu’ils en étaient effrayés. Ils étaient sous le choc ! Bientôt, il pourrait y avoir un enseignement de l’Histoire, en France, qui pourrait être critique avec Louis XIV ! Dans un pays prétendument déterminé par la « laïcité », il y aurait des « Saints » nationaux, qui seraient au-dessus de tout, seraient « intouchables », que ce soit dans les récits comme dans les noms de rue, les statues : la séparation du culte et de l’Etat ne serait toujours pas accompli. Parallèlement à l’expression et aux actions de ces défenseurs des Louis XIV, Napoléon 1er, etc, d’autres sont également monté au front de cette bataille mémorielle pour louer, explicitement, le « bilan positif de la colonisation », européenne, française. Mais, comme la loi Taubira a ciblé ce colonialisme pratique, d’autres en font un éloge implicite via les figures décisives (celles et ceux qui ont pris des décisions), de cette colonisation. Ce sont eux que nous entendons massivement défendre que LEURS statues soient maintenues, protégées. Or, mondialement, socialement, elles et ils sont dépassées. Ils se feront entendre longtemps, mais même dans ce monde de l’unanimisme mondain, parisien, un emblématique Apathie a rompu avec la digue, en reconnaissant, activement, qu’un Bugeaud aura été, colon français en Algérie, un criminel, de logique génocidaire, populicide pour reprendre un terme utilisé à tort et à travers. Le « récit national » unique est, depuis longtemps, explosé, façon puzzle. Il en va de même aux Etats-Unis où il y a désormais une coupure radicale entre l’Histoire officielle et la conscience historique de millions d’habitants de ce pays. La contradiction entre « l’esprit des Lois », le réputé sens « démocratique », et les pratiques violentes de la part de représentants d’un Etat américain ou de l’Etat fédéral, comme la mort de Georges Floyd en a été l’énième et spéciale démonstration, est devenue si insupportable, que des millions se sont engagés dans la voie de la résolution de cette contradiction. Dans l’effet de souffle, des statues qui tenaient fermement debout depuis des décennies sont tombées. Le choeur des pleureuses pour une statue déboulonnée s’est férocement jugé, pour aujourd’hui et pour demain. Mais maintenant que des statues commencent à tomber, ce qui se tient debout de la manière la plus radicale et ferme résiste : c’est le récit national unique, et derrière lui, ce qu’est cet Etat conservateur, ce qu’il a été, et ce qu’il est devenu, dans la continuité/discontinuité avec ce qu’il a été. Or, c’est un principe de la pensée, historique, à tous les sens du terme, de Hegel : le dépassement. Désormais, le dépassement de ce qui se tient debout, les Idées de l’Etat, est engagé. L’Histoire, définitivement, n’est pas finie. Et c’est pourquoi des figures historiques occultées réapparaissent, vont réapparaître : face à Adolphe Thiers, honoré en France par de nombreuses rues, places, les ombres de la Commune se sont levées depuis longtemps mais leur voix se fait désormais plus entendre. Ce massacre, de citoyens français, par d’autres français, reste mal connu des Français, comme les massacres coloniaux, par exemple, celui de Madagascar, par Galliéni. On comprend pourquoi certains ne veulent pas en entendre parler, ne veulent rien entendre sur ce sujet : les cris des assassinés ne sont pas agréables à percevoir, pour les oreilles de ces « belles personnes ». C’est ce que révèle cette Histoire : comment, par racisme social/racisme, des « belles personnes » qui tiraient les revenus/rentes de leur condition de l’exploitation des terres et des personnes, ont décidé de faire tuer, massivement, à petit feu ou immédiatement.
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